AUDE

Bibliothèque – Aude, illustratrice-photographe, s’est installée depuis quelques années dans un atelier qu’elle a rénové, dans le quartier Noailles à Marseille. « C’est mon premier espace à moi, un grand pas, très important ». Alors elle y a mis toute son énergie, son cœur et certains de ses livres, « mes petits chéris, ceux qui m’ont accompagnée » nous dit Aude. Au début, comme pour célébrer cette nouvelle forme de possession, cette chambre à soi, elle n’a amené ici que des livres écrits par des femmes. Simone de Beauvoir par exemple dont elle a lu et aimé récemment les mémoires  – Mémoires d’une jeune fille rangée, La force de l’âge. Elle avait déjà adoré ses romans, lus après chacune de ses grossesses.

On trouve aussi sur l’étagère réservée aux autrices, les romans de Goliarda Sapienza et notamment celui-ci – moins connu que L’art de la joie – L’université de Rebibbia. « Elle y raconte son expérience carcérale. » Un passage a particulièrement marqué Aude, elle nous le lit : « Je n’ai jamais autant dormi de ma vie sinon quand j’étais petite. La prison me fait retourner en enfance. » Dans ce court extrait, outre l’incarcération, on entend l’insouciance retrouvée, le lâcher-prise. C’est peut-être l’effet que peuvent avoir quatre murs, des murs qui isolent, mais aussi protègent, et dans certains cas, permettent des expériences intenses de fraternité et de solidarité.

En parfaite transition nous repérons son « livre de sieste » du moment : Les quatre filles du Docteur March de Louisa May Alcott – dans sa nouvelle traduction française par Janique Jouin-de Laurens. « Lorsque j’ai eu l’atelier je me suis tout de suite imaginée passer des nuits entières à lire ici » explique Aude, « alors si pour le moment il n’ y a eu que quelques nuits, il y a eu beaucoup de siestes, toujours accompagnées d’une lecture ! »

La deuxième étagère de livres comporte davantage de classiques qui racontent son trajet de lectrice. « Je n’ai pas grandi avec une culture de la bibliothèque familiale, mais chez moi il était important de lire, et nous allions à la bibliothèque municipale. »  Vers l’âge de 7 ou 8 ans, sa mère lui met dans les mains pendant l’été Sans famille de Hector Malot. C’est un gros pavé, pas évident pour une petite fille de cet âge. Mais elle se souvient très précisément de sa persévérance et du basculement de l’effort vers le plaisir. Depuis elle va toujours au bout des livres, surtout ceux qui sont épais, « l’auteur a forcément quelque chose à dire ». Avec l’école, elle découvre avec engouement Zola, Balzac, Flaubert puis Kafka et les auteurs russes.

Inspirations – Au quotidien, dans son travail, Aude est une illustratrice qui utilise la photographie comme médium. Elle a notamment illustré de la poésie contemporaine pour une collection de livres jeunesse aux éditions Møtus. Parfois elle intègre du dessin dans les photos, et fabrique des mises en scène en papier. C’est un univers poétique absolument unique que créé Aude et que nous pouvons retrouver dans son dernier projet : Le jeu du Qui tu fus, un objet poétique dont les mises en scène photographiques ont été réalisées en pop-up (image en volume), à partir des poèmes de David Dumortier. Le jeu ? « Si tu veux savoir qui tu fus avant d’être qui tu es, tire une carte. »

Parmi ses influences et inspirations pour son univers singulier, on trouve le travail du photographe tchèque Jan Saudek, celui de la photographe Sarah Moon pour ses mises en scène des contes de Perrault et Andersen, la bande dessinée Philémon de Fred (« un jeune homme auquel il arrive des aventures psychédéliques ») ou encore Little Nemo de Windsor McCay qui est une source inépuisable de joie et d’inspiration.

Transmission – On ne peut pas, avec une illustratrice, ne pas évoquer certains albums jeunesse, devenus pour elle incontournables. C’est le cas de Max et les maximonstres de Maurice Sendak et Il y a un cauchemar dans mon placard de Mercer Mayer. Ces deux livres, lus et relus pendant l’enfance, Aude les a rachetés à l’âge adulte quand elle a eu des enfants. Et c’est avec ses trois enfants qu’Aude a découvert une autre forme de plaisir de lire, à travers la lecture à voix haute. Lorsque sa première fille est née et que ni l’une, ni l’autre ne parvenaient à trouver le sommeil, Aude a entrepris d’ouvrir de nouveau Sans famille et d’en faire la lecture, chaque jour, à ce bébé qui avait alors 9 mois. « Une fois de plus je suis allée au bout du roman, malgré mon épuisement. Mais surtout cet exercice cathartique a apporté de la sérénité à ma fille. » Depuis, Aude a gardé ce plaisir de la lecture à voix haute pour ses enfants, même si aujourd’hui ils savent tous lire. « C’est un véritable rituel quotidien pour nous ». Un acte de transmission.